Vous arrive-t-il d’être nostalgique ? De penser que c’était mieux avant ? Je parie que oui, et c’est bien normal. La nostalgie est probablement consubstantielle aux esprits conservateurs. Et puis, sincèrement, comment ne pas éprouver de nostalgie quand on voit ce que devient la France ? Comment ne pas penser qu’au-delà d’une tournure d’esprit, d’une propension personnelle à une certaine mélancolie, il est désormais tout à fait rationnel de penser que, oui, c’était mieux avant. Mais voilà, « la nostalgie n’est plus ce qu’elle était ».
La nostalgie n’est plus ce qu’elle était, c’est ainsi que Simone Signoret titrait son autobiographie, parue en 1976. Et c’est ce que j’ai pensé moi-même en découvrant la manifestation dite des « Patriotes de la diversité » qui a réuni, dimanche dernier, quelques milliers de personnes à l’appel d’influenceurs français d’origine maghrébines dont un certain « Ben le Patriote » et une certaine Henda Ayari qui se définit, elle, comme « patriote engagée pour la France » et qui s’étaient ensemble fixés pour objectif de recouvrir la place de la République de drapeaux tricolores.
Cette manifestation était en effet placée sous le signe de la nostalgie.
Interrogé par CNews, Ben le Patriote, déclarait ainsi avec enthousiasme : « Il y a énormément de monde. On est très fiers. Ici on a les Français : de toutes couleurs de peau, de toutes religions et c’est extraordinaire. Et c’est cette France-là, cette France des années 80-90, que moi j’ai connu parce que j’ai 38 ans, et j’en ai des souvenirs extraordinaires. C’est cette France-là qu’on veut retrouver, dans laquelle j’ai grandi, que nous voulons retrouver. »
Ben le Patriote se définit donc comme nostalgique de la France des années 80-90 qu’il souhaite ressusciter. Et il l’exprime en se drapant dans un drapeau tricolore. Ce discours et cette initiative ont suscité un certain enthousiasme jusque dans certaines sphères de droite. C’est ainsi que CNews et Frontières ont trouvé cette manifestation épatante, parce que voir la place de la République pavoisée de drapeaux tricolores est évidemment plus agréable que de la voir recouverte, comme souvent ces derniers temps, de drapeaux palestiniens, ce qui est bien compréhensible.
Reste toutefois à savoir quelle est cette France des années 80-90 dont Ben Le Patriote a la nostalgie et qu’il oppose à la France d’aujourd’hui.
Il a lui-même donné la réponse lorsque le journaliste de CNews lui a demandé le message qu’il souhaitait adresser à ses compatriotes d’origine immigrée : « Je leur dis : vous êtes Français, vous êtes Français et vous avez des origines. Soyez fiers d’être Français et soyez fiers de vos origines. Vous n’allez pas en oublier vos origines. Vous n’allez pas oublier votre religion. Vous êtes Français. On est ensemble. Vous n’êtes pas des étrangers. On est dans notre pays tous ensemble. On peut être blanc, on peut être noir, on peut être de toutes les couleurs. Et je vous le dis, l’unité, c’est ce qui fera la force de notre pays. »
On comprend donc que la France que veut nous vendre Ben Le Patriote avec sa nostalgie des années 80-90 est en fait la France fantasmagorique de SOS Racisme et des années Mitterrand. Pour les plus jeunes qui n’auraient pas connu ces années-là, je vais leur expliquer.
Nostalgie faussée, nostalgie désordonnée
Nous sommes en 1983. Deux ans auparavant Mitterrand a gagné l’élection présidentielle sur un programme socialiste de lutte des classes. Il prétendait défendre les petits contre les gros, les ouvriers contre les patrons, avec des nationalisations et tout l’attirail de l’économie marxiste. Mais voilà, hier comme aujourd’hui, le socialisme ne fonctionne pas. Si bien qu’en 1983, la France est déjà au bord de la faillite et les socialistes sont obligés d’abandonner toutes leurs promesses pour se rallier à la rigueur budgétaire, à l’européisme et au capitalisme le plus échevelé. On parlera de ces années comme les « années fric ». Et c’est pour masquer ce piteux reniement que les socialistes auront ce coup de génie : remplacer la lutte contre le capitalisme par la lutte contre le racisme, en faisant de l’immigré la nouvelle figure de victime et d’exploité qu’il faut défendre et promouvoir à tout prix. C’est du Terra Nova avant l’heure.
Un an plus tard, en 1984, l’Élysée réunit donc une petite bande d’agitateurs trotskistes dont un certain Julien Dray, qui n’était pas encore chroniqueur sur CNews, pour lancer l’opération SOS Racisme. Mais ce n’est que la partie émergée du dispositif qui entraîne dans cette opération des banquiers et des curés, des publicitaires et des maçons, des chanteurs, des journalistes, des comédiens, des couturiers, des philosophes et bien sûr des footballeurs… Tout ce petit monde s’est donné une mission : rendre l’immigration cool et désirable, l’associer à la jeunesse et à l’avenir, la vendre comme on vendrait un concert, une fête. Cela a été une propagande incessante.
De 1983 à 1998, de concert en matchs de foot, à la télévision et dans l’édition, il n’y en avait que pour « l’immigration qui est une chance pour la France » car comme les mobylettes, « la France roule au mélange » ou plutôt au métissage qui est un bain de jouvence, une renaissance.
En ce temps-là, les beurettes télévisuelles ne portent pas le voile mais des jeans. Elles sont presque invariablement jeunes et sexy, un peu comme des Brésiliennes de carte postale. Et puis l’immigration fait gagner la France. Car, c’est bien connu, sans l’équipe Black-Blanc-Beur, sans Zidane, jamais nous n’aurions gagné la Coupe du monde de 1998. Et pour un pays qui aspire à devenir le Brésil, gagner au foot, voyez-vous, c’est extrêmement important…
On comprend donc que Ben Le Patriote soit nostalgique de ces années-là, ou plutôt prisonnier de ce mirage publicitaire valorisant l’harmonie joyeuse de cette nouvelle France diversitaire, multiethnique et multiculturelle. « Mirage » car il s’agit bien sûr d’une fable mensongère.
Un exemple : en 1989, la propagande officielle transforme la célébration du bicentenaire de la Révolution en une fête du métissage et de la République laïque et universelle. Mais la réalité est très différente : la même année, deux lycéennes maghrébines sont exclues de leur collège pour avoir obstinément refusé d’ôter leur foulard. C’est le début de l’offensive islamiste sur l’école. C’est le problème : on connaît la fin du film.
On sait maintenant que l’antiracisme est l’ancêtre du wokisme et qu’il a fait le lit de l’islamisme.
On sait aussi que l’antiracisme est un Golem monstrueux qui, une fois sorti des cuisines de SOS Racisme, va se retourner contre ses créateurs en devenant un nouvel antisémitisme.
On sait que la gentille marche des gentils Beurs de 1983 annonce surtout les émeutes à répétition dans les banlieues de l’immigration.
On sait que les prétendues cités défavorisées mais pleines d’énergie sont les futurs territoires perdus de la République.
On sait aussi que les Bleus ne forment plus une équipe Black-Blanc-Beur mais plutôt, comme le soulignera Alain Finkielkraut en 2005, une équipe black-black-black.
Enfin, depuis quelques jours, nous savons aussi que le fils du grand Zinedine Zidane joue maintenant dans l’équipe d’Algérie et se dit « fier d’être algérien »…
Nous connaissons la fin du film.
Nous savons que la beurette du concert des potes porte maintenant le voile à l’école et exige de se baigner en burkini… Nous savons que les années 80-90 débouchent sur l’échec de l’assimilation et du grand remplacement.
Voilà pourquoi, de notre côté, nous avons beaucoup plus de difficulté à ressentir de la nostalgie pour ces années-là. D’autant que cette survalorisation de l’immigration s’est accompagnée, et s’accompagne encore de façon symétrique, par une dévalorisation systématique des autochtones.
Car les années 80-90 sont aussi des années d’un effroyable racisme anti-français qui a fait le lit de l’actuel racisme anti-blanc. Comme dans cet éditorial de 1985 par lequel Bernard-Henri Lévy, philosophe officiel du régime mitterrandien, proclamait en guise de manifeste : « Bien sûr, nous sommes résolument cosmopolites. Bien sûr, tout ce qui est terroir, béret, bourrées, binious, bref, “franchouillard” ou cocardier, nous est étranger, voire odieux. »
Il révélait de la sorte que cette France Black-Blanc-Beur n’est qu’un terrible marché de dupe. En effet, dans cette France-là, toutes les cultures sont valorisées comme un enrichissement sauf une : la culture française. Dans la France Black-Blanc-Beur, seuls le black et le beur ont le droit d’avoir des origines. Le blanc, lui, n’est plus vraiment une couleur. Il est prié de devenir une page blanche sur laquelle les autres vont écrire le futur de la nation française créolisée.
France abstraite et sans couleur
Vous pourriez me dire que telle n’est peut-être pas la position des organisateurs de la manifestation. Que je leur fais un procès d’intention. Qu’ils sont peut-être sincèrement amoureux de la France. Peut-être. Mais de quelle France ? Bernard-Henri Lévy, encore lui, expliquait « qu’il y a deux nations, la charnelle, la substantielle, celle qu’on hérite, celle de Péguy et de Barrès, qui n’a de cesse d’engendrer la bêtise naturelle et fasciste, et puis il y a l’autre, la nation antilyrique et abstraite, sans couleur, sans odeur, celle de tous les hommes, la mienne ».
Je redoute que ce soit cette nation-là que défend Ben Le Patriote.
Cette nation abstraite, sans couleur, sans odeur et sans saveur, cette nation réceptacle de toutes les migrations. En fait j’en suis même sûr puisqu’il se proclame « Patriote de la diversité », ce qui est une contradiction dans les termes, et qu’il recommande, comme on l’a vu, aux immigrés de cultiver leur particularisme, leur origine et leur religion, autrement dit, il leur recommande de ne pas s’assimiler à la France.
Les « Patriotes de la diversité » célèbrent donc une nation qui n’a pas de contenu. Une nation qui n’est qu’un contenant vide voué à être rempli par d’autres. Une nation qui malgré sa longue histoire, ne serait qu’un réceptacle destiné à les accueillir eux. Une nation qui ne serait que le fourreau de notre grand remplacement. Ce qui nous pousse à nous demander si cette manif bleu-blanc-rouge n’est pas surtout une manip Black-Blanc-Beur. Une ultime tentative de repeindre en tricolore notre effacement afin que nous y consentions.
Il faut donc se méfier des élans nostalgiques.
Dans un récent article, le politologue Pascal Perrineau note que « dans le champ politique, la nostalgie est une force puissante qui joue un rôle décisif pour construire de grands narratifs, mobiliser les militants, émouvoir et influencer l’électeur. ».
La nostalgie ne célèbre donc pas seulement le passé. Elle éclaire le présent et dessine déjà un avenir.
Voilà pourquoi, épouser, comme l’ont fait certains dans notre camp, la nostalgie des années 80-90 vendue par Ben Le Patriote, ou même simplement feindre de lui trouver du charme, n’est pas une habilité tactique. C’est une faute. Adopter la nostalgie de la gauche mène inévitablement à épouser sa vision du monde et son projet et à devenir finalement une nouvelle gauche. La preuve en est que la droite qui adopte cette démarche finit par ne plus s’opposer à la gauche que dans une pathétique rivalité mimétique. Par exemple en jouant à qui est le plus créolisé, et en se félicitant que le camp patriote ait en son sein plus de diversité que l’extrême gauche…
Plus globalement, la droite, et tout particulièrement la droite conservatrice, doit cesser de s’envisager comme une sorte de gauche d’hier. Parce que de la sorte, elle ne réussira qu’une seule chose : devenir la gauche de demain. Et la France n’a vraiment pas besoin d’une gauche supplémentaire.
Alors d’accord, laissons-nous aller à la nostalgie qui est dans notre tempérament, mais avec discernement !
La nostalgie est une forme d’amour. Il faut donc lui trouver des objets qui en soient dignes. Notamment en politique. Surtout en politique ! Et sincèrement, il y a quand même, dans la longue histoire de France, des épisodes plus dignes d’amour que ces poisseuses années 80.